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Témoignage

Le vieil homme et la Première Guerre

23/04/2020
Paris, France

« En 1998, j’ai demandé à un vieux monsieur de plus de 90 ans de se souvenir de la Première Guerre mondiale, et en particulier de l’armistice du 11 novembre 1918. Ce monsieur, que je connaissais car il était violoneux dans mon propre village, était très gai au début de l’entretien, très enjoué, capable de nous raconter des histoires très sympathiques. Et puis à un moment il s’est figé. Il s’est rappelé que lorsqu’il avait 11 ans, sur la place du petit village du Poitou où il vivait, le garde-champêtre était venu vers lui alors qu’il jouait avec un camarade de l’école primaire. Il avait annoncé à celui-ci la mort de son père à la guerre. Et ce vieux monsieur, 80 ans plus tard, a commencé à avoir la voix qui chevrotait, les larmes qui coulaient. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre conscience que dans l’Histoire, le témoignage était quelque chose de très différent du travail de l’historien, qu’il y avait des enjeux qui dépassaient les années, qui faisaient qu’à plus de huit décennies d’écart, cet homme se souvenait de cet événement, pouvait le rejouer, comme une sorte de pierre noire inatteignable à l’intérieur de sa propre mémoire, ou de son propre corps ; quelque chose qui n’avait plus aucune capacité à être entamé et qui, à travers les décennies, avait continué à cheminer comme un moment traumatique dont il n’arrivait pas à se débarrasser, qui ne pouvait pas être résumé par un travail historique classique.

On découpe le temps des deux derniers siècles en périodes historiques – le premier Empire, la Restauration, la monarchie de Louis-Philippe, la Seconde République, le coup d’Etat, le Second Empire, la IIIe République… mais tout cela fait fi de ces expériences humaines qui traversent ces périodes. Et se retrouver avec quelqu’un qui se souvient de ce qu’était la Première Guerre mondiale dans son caractère traumatique, c’est d’un coup se rapprocher de ce moment et se dire que ce qu’on avait déjà envisagé comme une période

extrêmement étanche par rapport aux autres ne l’était pas puisque sa vie à lui était originée dans ce traumatisme de l’enfance. »

Source : https://www.franceculture.fr/histoire/emmanuel-laurentin-stupeurs-et-tremblements-dun-journaliste-dhistoire